RENAISSANCE FRANÇAISE (arts)

RENAISSANCE FRANÇAISE (arts)
RENAISSANCE FRANÇAISE (arts)

Au cours de la première moitié du XVIe siècle s’accomplit en France une véritable révolution artistique. L’art gothique, très vivant autour de 1500 et toujours fécond en inventions extraordinaires, devient, en une génération, obsolète ou marginal: il cède la place à un système de formes fondé sur de nouveaux principes qui durera, à travers bien des transformations, jusqu’à la fin du XIXe siècle.

Ce changement considérable résulte de plusieurs causes distinctes et complémentaires: la découverte émerveillée de l’Italie par une partie de la classe dirigeante suscite au début du siècle une mode italianisante; l’assimilation progressive de la culture classique par l’élite française entraîne vers 1540 l’adoption de formes inspirées de l’Antiquité et de la haute Renaissance italienne; enfin, la volonté de François Ier de créer un nouvel art français rival de l’art italien précipite le mouvement et suscite l’apparition à Fontainebleau d’un centre artistique de rayonnement international.

L’importance soudaine prise par le «modèle» italien (alors que l’art gothique français s’était développé sur son propre fonds) et le rôle capital joué en France même par plusieurs artistes d’outre-monts ont souvent conduit à une interprétation simpliste de la Renaissance française, fondée sur l’opposition des «influences italiennes» et des «survivances gothiques». Or les œuvres nouvelles – lorsqu’elles ont une valeur – ne résultent pas de la juxtaposition d’éléments hétérogènes mais d’une assimilation active qui aboutit à un résultat entièrement original: le changement de style n’entraîne pas l’affaiblissement des particularités nationales: il en modifie seulement l’expression. Aussi toute étude de cette époque doit-elle mettre l’accent sur les capacités créatrices du milieu français – dont les intéressés avaient d’ailleurs au plus haut point conscience.

La première Renaissance

Les «voyages» de Charles VIII et de Louis XII n’ont pas provoqué, comme on le croit souvent, une conversion immédiate à l’art de la Renaissance. Quelques individus – ecclésiastiques, nobles, financiers au service du roi – se sont seuls intéressés à l’art italien, Louis XII y restant lui-même assez indifférent. Tous ces hommes appartiennent à l’entourage royal. Aussi la plupart des créations importantes ont-elle lieu jusqu’en 1525 dans la région de la Loire, résidence habituelle des souverains (la principale exception étant Gaillon en Normandie).

Ces novateurs ont d’abord importé d’Italie des objets de marbre – statues, médaillons, fontaines – et fait venir quelques sculpteurs. Puis, très vite, ils ont voulu introduire des motifs italianisants – qu’ils croyaient antiques dans leurs hôtels (à Bourges, Blois, Tours) et dans leurs châteaux (Gaillon, Bury, Chenonceaux...). Mais ils n’ont jamais cherché à reproduire un bâtiment italien ni demandé à des artistes étrangers d’exécuter le travail (à la différence de ce qui se passe au même moment en Europe centrale où des ateliers italiens participent à la construction des châteaux). Les formes architecturales importées se trouvent donc immédiatement insérées dans un autre système de construction, ce qui oblige à trouver des solutions nouvelles. Les ornements eux-mêmes, qui auraient pu être aisément copiés, subissent des transformations car les sculpteurs français réinterprètent tous les motifs – d’autant plus librement qu’ils maîtrisent mieux le nouveau répertoire.

Le château de Bury (détruit), commencé vers 1513, est la première création totalement accomplie de la Renaissance française: la disposition symétrique du plan, la succession régulière des pilastres sur les façades, la présence d’un escalier rampe-sur-rampe dans le pavillon central constituent autant d’italianismes – sans parler du style du décor sculpté. Mais les dispositions générales du château (aile d’entrée plus basse, galerie sur un côté de la cour, tours d’angle), la conception des façades (fondée sur le système de la travée verticale terminée par une lucarne) restent françaises, ainsi que la façon d’affirmer la présence de l’escalier par un volume propre, visible de partout.

L’avènement de François Ier en 1515 va accélérer cette évolution. Dans un pays où le souverain est l’objet d’une vénération unanime, les goûts du roi s’imposent très vite à ses sujets – surtout lorsque le prince est jeune, séduisant, victorieux. Or le nouveau roi a une idée précise de son rôle culturel: fasciné par l’Italie qu’il découvre dans l’enthousiasme des lendemains de Marignan, il veut policer la noblesse française (qui est à peu près inculte), rénover les lettres et les arts, entreprendre de grands travaux, en un mot faire de la France une «puissance culturelle» égale, voire supérieure à l’Italie. Une conception proprement française des rapports du pouvoir et de la culture se définit alors: elle dure encore.

Les conséquences du changement de règne ne se font pas attendre: les constructions novatrices se multiplient en Blésois, en Touraine, en Haut-Poitou, entre 1515 et 1525 (châteaux d’Azay-le-Rideau, de Bonnivet, de Veuil, hôtels de Blois et de Tours, chapelles d’Ussé et de Champigny-sur-Veude). Le roi donne l’exemple. Dès son avènement, il commence à Blois l’aile qui porte son nom; un an plus tard, à son retour d’Italie, il décide de construire un grand château neuf à Romorantin et persuade Léonard de Vinci de venir en France pour en donner les plans. Ce projet, vite abandonné, est remplacé par un autre, aussi grandiose, celui de Chambord, auquel Léonard dut aussi participer puisque les dispositions les plus extraordinaires du château – plan en croix du «donjon», position centrale de l’escalier, système à double révolution de la vis – y ont toutes des précédents dans ses dessins. Cette intervention italienne n’empêche d’ailleurs pas Chambord d’être un château très français: l’énorme donjon à quatre tours, les parties hautes prodigieusement ornées reprennent en les développant de façon démesurée, véritablement royale, des motifs traditionnels. Les idées italiennes les plus audacieuses et les formes françaises les plus «nationales» se trouvent donc associées dans cette extraordinaire création où s’accomplissent toutes les aspirations de la première Renaissance et tous les rêves du jeune roi.

Les expériences de la région parisienne, le premier Fontainebleau

À son retour de captivité (1526), François Ier décide de résider près de Paris. L’art de la Loire reste vivant, Chambord se construit, mais les innovations désormais apparaissent dans la région parisienne.

Infatigable, le roi ouvre de nouveaux chantiers: Fontainebleau, Madrid (au bois de Boulogne – détruit), l’Hôtel de ville de Paris, Saint-Germain, Villers-Cotterêts... Le connétable de Montmorency l’imite à Écouen. Toutes ces constructions sont autant d’expériences: certaines n’auront pas de suite (tels les revêtements de céramique de Madrid), d’autres préparent l’avenir (les pavillons rectangulaires remplacent les tours, le décor devient plus sobre). Aucune solution d’ensemble toutefois ne s’impose, si bien qu’on ne peut parler d’un style nouveau se substituant au style de la Loire: très sûre de ses ressources en 1525, l’architecture française semble hésiter autour de 1540.

En revanche, un événement d’une importance capitale se produit à Fontainebleau, résidence principale du souverain, entre 1530 et 1540. Avant même que les bâtiments du nouveau château soient achevés, François Ier confie à deux peintres italiens, Rosso et Primatice, le soin de les décorer. Jusqu’à sa mort, en 1540, Rosso joue le premier rôle; il conçoit et réalise avec de nombreux collaborateurs le décor de la galerie François Ier, vaste ensemble voué à la glorification de la monarchie française.

Le miracle qui s’était produit avec Chambord – un grand Italien imaginant des solutions sans précédent parce qu’il travaille pour un prince prêt à accepter les idées les plus extraordinaires – se renouvelle dans la galerie: stimulé par l’importance de l’entreprise, les exigences complexes du programme, la confiance absolue que le roi lui accorde, Rosso invente un système décoratif qui diffère de tout ce qu’on avait vu jusqu’ici. La nouveauté la plus importante n’est peut-être pas l’association de la peinture et des stucs en haut relief, mais une conception inédite de l’ornement. Les compositions décoratives très développées qui entourent les scènes comportent en effet des motifs prodigieusement variés, de grande dimension, animés d’une vie intense – trois caractères qui n’avaient jamais été réunis. Des enroulements dotés d’une étrange vitalité, les «cuirs», servent de lien entre les figures et les objets qui s’enchaînent dans un mouvement ininterrompu.

Œuvre d’un Italien, mais impensable en dehors du contexte français, la galerie François Ier modifie du tout au tout l’«image» de la Renaissance française. Immédiatement admirée par les étrangers, et en premier lieu par les Italiens, elle fait brusquement de Fontainebleau une «nouvelle Rome», réalisant ainsi la grande ambition du roi qui s’y fait représenter en «vainqueur de l’Ignorance». En même temps, la galerie impose en France un monde imaginaire nouveau: la cour, habituée jusqu’ici aux décors des tapisseries à sujets religieux ou héroïques, découvre l’univers de la Fable et ses nudités provocantes. Une telle œuvre dut faire choc et précipiter l’évolution des esprits.

Le style à l’antique

Les années 1540-1550 sont décisives pour l’avenir de la culture et de l’art français: elles voient le début d’une «haute Renaissance» qui s’épanouira dans la décennie suivante, sous le règne d’Henri II. Les humanistes multiplient les éditions et les traductions des textes classiques, Du Bellay et Ronsard exaltent la valeur de la langue française et annoncent la naissance d’une poésie nationale, les artistes créent des formes nouvelles inspirées de l’art antique et de l’art italien du Cinquecento. Le style de la Loire et les formes récemment inventées dans la région parisienne se trouvent brusquement rejetés dans le passé – à l’exception, évidemment, du décor de Fontainebleau. Dans tous les domaines une nouvelle génération, sûre d’elle et «nationaliste», prend le relai.

Contrairement à ce qu’on avait observé trente ans plus tôt, les innovations ne sont pas liées à un phénomène de mode limité à un milieu restreint, mais à une exigence culturelle commune à toute l’«élite». Aussi apparaissent-elles dans toute la France autour de 1540, à Paris, Rouen, Orléans, Fontenay-le-Comte, Toulouse, Autun, Ancy-le-Franc, Joinville... Partout on emploie de façon systématique les ordres, les bossages, les ornements antiques connus par une expérience directe, par des dessins ou des gravures (avant tout les planches du traité de Serlio). Pour la première fois, le roi ne joue aucun rôle direct dans ce changement qui se produit de façon spontanée – preuve évidente de la maturité de la Renaissance française et du succès de la politique culturelle menée depuis 1515.

Le Louvre, commencé par François Ier en 1546, un an avant sa mort, résume toutes les ambitions de cette génération et conclut magnifiquement l’œuvre du «grand roi François». Le projet conçu par Pierre Lescot (Jean Goujon exécutant l’admirable décor sculpté) associe de façon très originale des dispositions françaises – le jeu contrasté des volumes, l’importance attribuée aux travées verticales, le goût d’un décor fin en faible relief – à un répertoire italien et antique extrêmement riche (bossages d’angle, ordres superposés, étage attique, frontons sur consoles, incrustations de marbre...). Il suffit de comparer le Louvre à Écouen, commencé dix ans plus tôt, pour mesurer l’importance des changements survenus en très peu de temps: Lescot et Goujon ont créé du premier coup une œuvre «classique» qui va inspirer pendant deux siècles l’architecture française.

Le Louvre, cependant, ne représente qu’un aspect de l’activité architecturale de ces années prodigieusement fécondes. À partir de 1547, Philibert de L’Orme élève à Anet, pour Diane de Poitiers, un édifice tout différent où il recherche de façon systématique les solutions inattendues, les formes rares, les effets paradoxaux. Attaché encore plus que Lescot aux habitudes de construire françaises, de L’Orme veut en même temps étendre au maximum les possibilités expressives du nouveau style, suivant en cela l’exemple de Michel-Ange. L’œuvre de ce virtuose va stimuler l’imagination: de nombreux architectes (Bullant, Du Cerceau...)

utiliseront de la façon la plus libre, pendant plus d’un demi-siècle, les ordres et les bossages, créant ainsi un maniérisme français nettement distinct du classicisme de Lescot.

Fontainebleau et l’art de cour

Le château de Fontainebleau, qui se développe sans cesse jusqu’en 1570 en fonction des besoins changeants des souverains, ne sera jamais une grande œuvre d’architecture, mais il reste le lieu des grandes inventions décoratives et devient même, à partir des années quarante, le centre d’une activité artistique multiforme. Primatice, qui dirige toute la décoration du château de 1540 à 1570, couvre les murs de compositions mythologiques sensuelles et raffinées qui auront une influence énorme sur la peinture française du XVIIe siècle. Dans la galerie d’Ulysse, son chef-d’œuvre, il évoque avec une invention inépuisable les dieux et les héros au milieu d’un immense décor de grotesques légers et lumineux.

Parallèlement, le système décoratif né dans la galerie François Ier demeure très vivant: il inspire les graveurs qui multiplient les planches d’ornements ainsi que les orfèvres, les émailleurs, les huchiers, les illustrateurs de livres ou de manuscrits qui comprennent vite quel parti ils peuvent tirer du foisonnement ornemental imaginé par Rosso. Enfin, des personnalités indépendantes inventent des combinaisons nouvelles, tel le maître d’Oiron qui associe des «tableaux» de grandes dimensions aux «cadres habités» venus de la galerie François Ier et au trompe-l’œil cher à l’Italie.

Malgré la diversité des partis décoratifs, le grand nombre des techniques utilisées et le caractère cosmopolite d’un milieu qui réunit des artistes italiens, français, flamands, les productions de l’«école de Fontaine bleau» présentent une grande unité, parce qu’elles ont en commun une certaine conception de la figure et de l’ornement. Les figures, idéalisées, disposées dans des poses volontairement compliquées, deviennent ornementales sans perdre leur sensualité; les ornements, très denses, paraissent surgir les uns des autres comme s’ils possédaient une vie interne, analogue à celle des figures. Le monde irréel qui naît de cet accord n’ayant aucun équivalent en Italie (où la figure humaine conserve toujours la primauté), il faut admettre qu’un climat propre à la cour de France, fastueux, sensuel, élégant, a orienté dans une direction nouvelle le génie de Rosso et de Primatice.À chaque étape de son développement, l’art de la Renaissance française est donc né d’une rencontre entre les modèles italiens et les particularités françaises. Les modèles ont beaucoup changé entre 1515 et 1550 puisque les Français ont admiré successivement l’art de la fin du Quattrocento et celui de la haute Renaissance, et que les caractéristiques du milieu d’accueil se sont transformées du fait de l’évolution culturelle de l’élite et de l’apparition d’une vie de cour brillante. De ces rencontres successives est issue une production artistique foisonnante, désordonnée, difficile à saisir – d’autant qu’elle a en grande partie disparu. Lorsqu’on en fait le bilan, deux faits essentiels apparaissent: l’art français «moderne» a pris forme à travers les grandes œuvres du milieu du siècle; un centre artistique majeur, le seul en Europe qui puisse rivaliser avec les centres italiens, est né autour du château royal. La situation nouvelle ainsi créée commande l’avenir: elle annonce l’affirmation d’un style «national» au milieu du XVIIe siècle et le rôle joué alors par Versailles.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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